Protection de l'enfant: l'exciseuse, la coutume et la loi.

Jeudi 13 octobre 2016 - 12:28
Thiékèdjé ne sait pas bien son âge, à peu près 85 ans. Elle dégage une certaine douceur, se déplace lentement à cause de son grand âge, mais elle vous regarde droit dans les yeux d’un regard vif, perçant ses petites loupes. C’est une personne respectée de toute la communauté qui a l’estime du Chef de village et de tous les notables. Depuis l’âge adulte et jusqu’à une dizaine d’années de cela, elle était exciseuse. Elle coupait le clitoris des jeunes filles, pour quelques 2 500 francs, des céréales et du savon. 

L’excision est une pratique traditionnelle dans la région de Velingara, notamment dans les communautés Peul qui y voyaient une étape dans l’éducation des jeunes filles, comme l’explique Thiékèdjé, pour qui il s’agissait aussi « d’inculquer des principes d’éducation et d’entrer dans les normes sociales héritées des aînés ». Les jeunes filles étaient excisées en groupe, comme une cérémonie, et passaient ensuite près d’un mois dans leur chambre. Thiékèdjé opérait avec un couteau bien tranchant et concoctait des feuilles d’arbres bouillies pour poser sur la plaie, qui cicatrisait généralement au bout d’une semaine. Généralement. 

Une pratique culturelle néfaste interdite

Quand l’Etat du Sénégal a mené campagne contre les mutilations génitales féminines, menant à l’interdiction formelle de l’excision en 1999, Thiékèdjé dit avoir abandonné cette pratique. Elle explique cependant que l’excision s’est ensuite pratiquée en huis clos sur les bébés, de façon plus clandestine et discrète, un bébé ne se plaint pas. Elle n’a pas souhaité continuer car cela n’avait plus, ce « volet éducatif », qui donnait, dit-elle, tout son sens à l’excision des adolescentes, tel un rite de passage.

Thiékèdjé ne parle pas des conséquences médicales terribles dont souffrent ces jeunes excisées, mais évoque du bout des lèvres le décès d’une jeune fille survenu des suites de complications. Bita Sabaly, matrone au poste de santé de Kandia et Phélix Diouf Médecin chef du district de Vélingara en témoignent, les femmes excisées sont souvent victimes de toutes sortes d’infections gynécologiques, dont certaines graves, comme les fistules, qui pourront même les marginaliser dans leur communauté. Les rapports sexuels peuvent être douloureux ; les accouchements sont souvent très compliqués, ce qui met aussi en danger la vie du bébé.

Kankou, grand-mère leader à Kael Bessel est engagée contre l’excision, partie prenante du travail de fond de l’ONG Grand Mother Project, confirme les conséquences terribles et explique que souvent, les jeunes filles ne savent même pas qu’elles ont été excisées, et qu’elles n’ont pas les clés pour comprendre les maux dont elles souffrent.

Oumou par exemple a 13 ans, elle a été excisée bébé et c’est sa grand-mère qui le lui a appris. Elle n’en parle pas avec ses copines, avec personne, c’est un tabou. Oumou baisse les yeux, regarde dans le vide, on sent bien que cela la gêne d’en parler. Qui sait si elle souffre de conséquences aujourd’hui ?

Kankou assure que la pratique de l’excision dans le village a cessé et qu’aujourd’hui toutes les femmes sont contre cette pratique, pourtant transmise de femmes à femmes. Ici 94%* d'entre elles sont excisées.

Le progrès par le dialogue

World Vision a tissé des liens étroits avec les communautés pour les sensibiliser et promouvoir un dialogue continu entre les différentes couches de la communauté sur les conséquences néfastes de cette pratique culturelle. Un travail de fond est réalisé sur le long cours avec des partenaires clé et leaders d’opinions : des Comités d’Alerte, de Veille et d’Ecoute ont été créés, des réseaux d’Imams sont mobilisés, des infirmières chef de poste se sont engagées, et les enfants eux-mêmes sont régulièrement impliqués pour développer leurs connaissances, favoriser leur participation et leur protection.

Aux côtés de World Vision, l’ONG Grand Mother Project est engagée, un réseau de grand-mères qui prêchent la bonne parole dans leurs villages. Des femmes d’ici, excisées, qui ont changé de point de vue et qui à leur tour oeuvrent pour changer les mentalités. Essentiel.

Il faut du temps pour bouger les lignes. Ce travail de fond au quotidien depuis 2009 a porté ses fruits : les 74 villages de la commune de Kandia ont abandonné l’excision.

Dans les autres communautés du département le même travail continu de dialogue est mené au quotidien pour amplifier encore cet impact pour le bien-être des enfants et pour un changement positif et durable des normes sociales.

200 millions** de filles et de femmes sont excisées dans le monde.

 

*Source Enquetes EDS MICS de la DPEGV (Direction des Droits de la Protection de l'Enfant et des Groupes Vulnérables) 2014 pour la région de Kolda. Enquête menée sur les femmes âgées de 15 à 49 ans. 

** Rapport de l'UNICEF de 2016, 200 millions de filles et femmes en vie ont été excisées.

Photos : Delphine Rouiller pour World Vision Sénégal