Éradiquer la diarrhée, une communauté à la fois
« Les enfants n’avaient que 6 mois à l’époque et ce jour-là, ils connaissaient tous deux des moments difficiles. Quelque chose n’allait pas. Ils avaient souvent des selles liquides ; ils étaient apathiques, ne jouaient pas et se desséchaient, devant mes yeux. C’était la diarrhée », raconte Venette Léon, 25 ans, mère de cinq enfants dont les plus jeunes jumeaux souffraient d’un épisode de diarrhée.
Les maladies diarrhéiques sont responsables d’un décès d’enfant sur neuf dans le monde. Avec une estimation de 2 195 enfants tués par jour. C’est une mortalité plus élevée que le SIDA, le paludisme et la rougeole réunis. Selon une étude du Groupe de référence en épidémiologie de la santé infantile de l’OMS et de l’UNICEF[1], la diarrhée est la deuxième cause de décès chez les enfants de moins de cinq ans.
Dans les pays à faible revenu comme Haïti, les enfants de moins de trois ans connaissent en moyenne trois épisodes de diarrhée par an. Chaque épisode prive l’enfant de la nutrition nécessaire à sa croissance. En conséquence, la diarrhée est l’une des principales causes de malnutrition. Les enfants mal nourris sont également les plus susceptibles de tomber malades par suite de la diarrhée. Les infections diarrhéiques, chez les enfants, ont d’importantes implications sur le reste de leur vie comme le retard de croissance qui touche 22 % des enfants de moins de cinq ans en Haïti. Elles augmentent également le risque de mortalité due à d’autres maladies infectieuses telles que le paludisme, la rougeole et la pneumonie[2].
En Haïti, le manque d’assainissement et l’accès limité à l’eau potable sont les principales causes de diarrhée chez les enfants de moins de cinq ans[3]. En fait, environ 67 % de la population n’a pas accès à un assainissement amélioré et environ 27 % n’a pas accès à l’eau potable. Pire encore, depuis octobre 2010, Haïti est en proie à une épidémie de choléra qui a causé l’infection d’environ 819 000 personnes et le décès de 9 789 autres, jusqu’à janvier 2019, selon le rapport de l’UNOCHA[4].
Les départements du Nord et du Centre d’Haïti, où la World Vision mène environ 89% de ses opérations, ont la plus forte prévalence de diarrhée chez les enfants de moins de cinq ans dans tout le pays. Environ un enfant sur quatre, dans ces départements, souffre de diarrhée, tandis qu’un enfant sur cinq est atteint de diarrhée dans d’autres régions du pays[5].
Suite à ces statistiques bouleversantes, la World Vision Haïti a pris la décision de recentrer ses interventions sur WASH (eau, assainissement et hygiène), la santé et la nutrition, afin d’avoir une incidence significative sur la vie des personnes les plus vulnérables dans les régions où elle opère.
S’attaquer au problème de la diarrhée dans les communautés représente une tâche complexe. Dans le cadre de son programme technique pour la survie de l’enfant, la World Vision Haïti a mis en œuvre une série d’activités axées sur la réduction de la défécation à l’air libre, l’amélioration de l’accès à l’eau potable et la promotion de changements de comportements en matière d’hygiène.
Dans le cadre d’un recensement des ménages réalisé dans ses zones d’intervention en 2016, la World Vision Haïti a constaté que plus de 72% des familles les plus vulnérables n’ont pas accès à l’eau potable par l’intermédiaire de points d’eau protégés, mais récupèrent plutôt l’eau de sources non protégées souvent exposées à la contamination par des déchets d’origine animale et humaine.
Une jeune fille du nom de Wilnesse, qui vit à Matelgate, dans le département du Centre, explique que : « L’accès à l’eau est très difficile dans mon quartier. Je savais me réveiller à 3 heures du matin pour puiser de l’eau à partir d’un trou, dans le sol. Alors que nous remplissions nos seaux, nous avons trouvé, une fois, un morceau de tissu plein d’excréments dans l’eau. Il était alors 6 heures du matin et beaucoup de gens étaient déjà venus et partis. »
World Vision Haiti a amélioré l’accès à l’eau potable pour plus de 222,000 personnes.
L’expérience de Wilnesse n’est pas unique. Les enfants des zones rurales d’Haïti jouent un rôle essentiel dans leur famille, car c’est eux qui vont chercher de l’eau pour les autres. Sans accès à l’eau potable, toute la famille est en danger et les enfants sont les premiers touchés.
Pour combattre ce tueur silencieux, la World Vision Haïti a amélioré l’accès à l’eau potable pour plus de 222 000 personnes en construisant et en réhabilitant 167 points d’eau dans des communautés, des écoles et des centres de santé dans différentes parties du pays au cours des trois dernières années.
« L’accès à l’eau ne se limite pas seulement à l’eau utilisée pour la boisson et pour le bain. Grâce à un accès à une eau potable provenant d’une source protégée, les enfants peuvent aller à l’école à l’heure, les repas sont préparés à l’heure et les enfants sont protégés contre la violence et les abus, car ils n’ont pas à sortir de leur communauté pour aller chercher de l’eau », explique Jean-Rémy Raphaël, conseiller WASH pour la World Vision Haïti.
L’un des principaux moteurs de cette réussite est le partenariat renforcé avec la Direction nationale de l’eau potable et de l’assainissement (DINEPA) et les bureaux régionaux de l’eau potable et de l’assainissement (OREPA). Jean-Rémy Raphaël déclare qu’en travaillant avec la DINEPA et l’OREPA, la World Vision Haïti a pu améliorer, développer et étendre les systèmes d’eau existants pour toucher des communautés qui autrement ne seraient pas atteintes. Avec la DINEPA et l’OREPA, la World Vision Haïti contribue à la réalisation de l’Objectif de développement durable numéro 6 : Garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau.
Grâce aux efforts délibérés et de collaboration entre la World Vision Haïti, la DINEPA et les communautés, environ 19% de plus des familles les plus vulnérables dans les programmes de zone de la World Vision ont eu accès à l’eau potable au cours des trois dernières années, ce qui porte à 47 % le pourcentage des familles les plus vulnérables ayant accès à l’eau potable.
Wilnesse atteste que « depuis que la World Vision Haïti a construit le point d’eau dans ma communauté, la situation s’est beaucoup améliorée. Notre eau est propre et abondante. On n’a plus besoin de se réveiller avant l’aube ni d’avoir peur de boire l’eau. »
L’accès à l’eau potable n’est que l’une des mesures prises pour réduire la prévalence de la diarrhée dans les communautés. Une pratique courante qui pèse lourdement sur la santé et la survie des enfants est la défécation à l’air libre, qui perpétue et propage des maladies diarrhéiques comme le choléra.
Le recensement des ménages de la World Vision Haïti a révélé que plus de 90% des familles les plus vulnérables pratiquent la défécation à l’air libre, dans des trous ou des fossés, et que moins de 4% d’entre eux ont accès à des installations sanitaires améliorées, telles que des toilettes ou latrines modernes, individuelles ou communes.
Pour lutter contre la défécation à l’air libre et ses conséquences, la World Vision Haïti a délibérément encouragé la construction de latrines familiales, en utilisant des matériaux d’origine locale et une main d’œuvre locale, en combinaison avec des campagnes communautaires pour mettre un terme à la vieille pratique de défécation à l’air libre. Cette combinaison de construction autonome de latrines et de campagnes communautaires, également connue sous le nom d’approche d’assainissement total pilotée par la communauté, transforme lentement mais sûrement une communauté à la fois.
Polès Monpremier, un grand-père de 62 ans, a personnellement vécu l’impact néfaste de la défécation à l’air libre sur sa famille lorsqu’il a perdu sa fille, encore dans la vingtaine, suite au choléra. Avec beaucoup de tristesse, Polès dit : « Il était environ 2 heures du matin ce jour-là, quand elle s’est soudain mise à vomir une substance blanche. En quelques heures, elle était complètement déshydratée et elle est morte. Je ne savais pas ce qu’était le choléra à l’époque, mais je le sais maintenant. »
Creuser des latrines n’est pas une mince affaire. La profondeur du trou doit être de 1,5 à 2,5 mètres selon le terrain. Pour la plupart des familles, il n’est pas possible de creuser seul un trou de cette profondeur. C’est là qu’intervient le « konbitisme ».
Dans les communautés rurales, les planteurs pratiquent une forme traditionnelle d’organisation du travail basée sur l’entraide appelée le « konbitisme ». À cette occasion, chacun oublie tour à tour ses intérêts personnels pour prêter main-forte aux autres membres du groupe. Dans le cadre de l’approche d’assainissement total pilotée par la communauté, des groupes familiaux d’environ 10 à 15 chefs de ménage unissent leurs forces pour creuser des latrines dans chacune de leurs maisons. Ils commencent par creuser des latrines chez l’un des membres du groupe et, une fois le travail terminé, ils se rendent chez un autre membre pour refaire le même travail. Ce processus est répété jusqu’à ce que chaque membre ait une latrine. En principe, 5 à 10 latrines sont installées par semaine.
« Lorsque les communautés s’approprieront de leurs nouvelles latrines – pour avoir compris leur importance et les avoir creusées elles-mêmes – elles continueront à être utilisées et entretenues », souligne Tanis Joël, ingénieur WASH de la World Vision Haïti.
Trois ans après le lancement par World Vision Haïti de l’approche d’assainissement total pilotée par la communauté, près de 8 000 familles ont creusé leurs propres latrines chez elles, portant l’accès à un assainissement amélioré à 28,5% parmi les familles les plus vulnérables et réduisant la défécation à l’air libre à 68,4%. En 2018, 30 communautés des programmes de zone de la World Vision ont atteint le statut de zones exemptes de défécation à l’air libre.
« Nos latrines ne sont pas sophistiquées, mais elles sont faciles à utiliser pour les enfants. Plus question de se cacher derrière les buissons. J’ai la conviction que le choléra n’aura plus d’emprise sur ma famille et ma communauté », dit Polès.
Pour mettre fin à l’emprise de la diarrhée sur les familles les plus vulnérables d’Haïti, la World Vision Haïti dissémine également des messages sur les comportements essentiels en matière d’hygiène tels que le lavage des mains et le traitement de l’eau.
« Je connais toutes les méthodes de traitement de l’eau, qu’il s’agisse d’Aquatabs, du chlore ou de l’eau bouillie. Depuis que mes enfants ont eu la diarrhée, je purifie l’eau que je leur donne », dit Venette avec fierté.
On pourrait en dire long sur les défis et les succès remportés au cours des trois dernières années. Nous rencontrons souvent de jeunes mères comme Odette Pierre, qui vous donnent l’impression que chaque effort, aussi petit soit-il, fait une différence dans la vie des gens que nous touchons.
« J’étais très négligente envers mes enfants », explique Odette Pierre, mère de cinq enfants. « Je savais revenir du jardin et, sans changer de vêtements ni me laver les mains, je savais commencer à les allaiter. Maintenant, en rentrant du jardin, je me change. Je me lave les mains avant de m’occuper du bébé. S’il jouait par terre, je lui lave les mains et je le nettoie. Autrefois, je n’aurais rien fait de tout ça. J’ai changé grâce aux formations de la World Vision. »
Il reste encore beaucoup à faire. Cependant, à voir des améliorations comme l’augmentation de l’accès à l’eau et la réduction de la défécation à l’air libre, et à entendre les témoignages sincères des enfants et de leurs communautés, nous avons l’espoir que nous pouvons faire davantage et aller plus loin que nous ne l’avions imaginé. « Notre objectif est d’améliorer la vie des enfants les plus vulnérables en Haïti en changeant une communauté à la fois », affirme Julie Lee, directrice nationale de la World Vision Haïti.
[1] Liu L, Johnson HL, Cousens S, Perin J, Scott S, Lawn JE, Rudan I, Campbell H, Cibulskis R, Li M, Mathers C, Black RE; Child Health Epidemiology Reference Group of WHO and UNICEF. Global, regional, and national causes of child mortality: an updated systematic analysis for 2010 with time trends since 2000.External Lancet. 2012;379(9832):2151-61.
[2] Guerrant RL, DeBoer MD, Moore SR, Scharf RJ, Lima AA; The impoverished gut—a triple burden of diarrhoea, stunting and chronic disease.
Nat Rev Gastroenterol Hepatol. 2013; 10: 220-229
Black RE, Allen LH, Bhutta ZA, et al. Maternal and child undernutrition: global and regional exposures and health consequences. Lancet. 2008; 371: 243-260
[3] Enquête Mortalité, Morbidité et Utilisation des Services (EMMUS-VI) Haïti, 2016-2017
[4] https://reliefweb.int/report/haiti/haiti-humanitarian-dashboard-jan-dec-2018
[5] EMMUS-VI, 2016-2017